Warlock ("le sorcier") est un pseudonyme. Il se nommait Philip Heseltine. Il est issu d’une riche famille travaillant dans la finance. Son enfance a été perturbée (mort de son père quand il a deux ans, remariage de sa mère, une femme particulièrement dominatrice). Il fait ses études à Eton où son professeur de musique, Colin Taylor, découvre et encourage ses dispositions. Il lui fait connaître la musique de Delius et l’emmène à la création des Songs of Sunset de ce compositeur, auquel il voue ensuite une passion et dont il fait très jeune la connaissance personnelle.
Après des études classiques à Oxford, Philip Heseltine retourne à Londres au début de la guerre, mais n’éprouve pas le moindre enthousiasme patriotique. En 1915, il publie des critiques dans le Daily Mail, fréquente quelques temps D.H. Lawrence, puis il se lie avec Cecil Gray et mène avec lui une vie de bohème très libre. Il se rend en Irlande en 1917 pour échapper à la conscription et s’intéresse aux dialectes celtiques ; il se passionne aussi pour l’occultisme, ce qui ébranle sa santé mentale. Il publie en 1918 ses premières mélodies sous le nom de Warlock et à partir de 1920 publie une revue, The Sackbut ("La sacqueboutte") où de nombreux articles sont consacrés à la musique des 16e et 17e siècles, dont lui-même effectue des transcriptions.
Il est un des premiers à s’intéresser à la musique de Gesualdo da Venosa (dont il se croyait parfois, dans des moments d’égarement, la réincarnation) et publie, avec Cecil Gray, un essai sur lui en 1926, Carlo Gesualdo, Musician and Murderer. Il écrit en 1920-21 The Curlew, qu’il révise en 1922. De 1921 à 1924, il écrit un livre sur Delius et organise en 1929, avec Thomas Beecham, un important festival dédié à ce compositeur.
La musique de Warlock porte la marque de deux influences, celle de Delius et celle d’un compositeur hollandais vivant en Grande Bretagne, Bernard Van Dieren, mais ses meilleures œuvres manifestent un talent vraiment original. Parmi elles, on trouve une brève Sérénade pour cordes composée en l’honneur de Delius, la Capriol Suite (inspirée par des musiques de danse de la Renaissance), des pièces pour chœur, dont l’aussi bref que saisissant The Shrouding of the Duchess of Malfi (sur un texte du dramaturge élizabethain Webster) où pointe l’ombre inquiétante de Gesualdo, diverses mélodies pour voix et piano sur des textes de Shakespeare, Fletcher ou Belloc, allant de la chanson à boire au lyrisme mélancolique.
Chez Warlock, l’abîme n’est jamais très loin et Eric Fenby a écrit de The Curlew : « C’est la musique la plus triste qui ait jamais été écrite ». C’est aussi une des plus belles de son siècle. Elle est écrite pour une voix de ténor, un quatuor à cordes, une flûte et un cor anglais sur des poèmes de W.B. Yeats ; le détail de l’écriture, d’une grande transparence, avec un traitement des timbres d’une particulière finesse, aussi bien que la progression dramatique vers une fin qui plonge dans un silence glaçant, constituent une exceptionnelle réussite. Dans un langage apparenté à celui de Delius, Warlock exprime tout autre chose : une douleur intérieure poignante, une descente au fond du désespoir pour y trouver la beauté.
De son œuvre, Warlock disait : « Je serais plus qu’heureux si, à la fin de mes jours, je pouvais me retourner sur une réussite comparable à celle de Philip Rosseter, qui n’a laissé derrière lui qu’un mince recueil de vingt et une mélodies immortelles » (I should be more than happy if at the end of my days I could look look back upon an achievement comparable to that of Philip Rosseter, who left behind him but one small book of twenty-one immortal lyrics ).
Nous vous laissons avec un extrait du Curlew :